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L'esclavage aux Etats-Unis

The Root of jazz is Africa uprooted; jazz had it's leggings in slavery”. Linda Dahl dans « Stormy Weather ». « La racine du jazz, c’est l’Afrique déracinée ; le jazz avait ses racines dans l’esclavage »

King Oliver's Creole Jazz Band, 1921. Left to right: Ram Hall, Honore Dutrey, King Oliver, Lil Hardin, David Jones, Johnny Dodds, Jimmie Palao, Ed Garland.

Les formes artistiques issues de la culture Noire aux États-Unis, que le monde entier admire, sont nées dans les circonstances de l’esclavage et à partir de celles-ci.

Cet article a vocation à donner quelques éléments clés de l’histoire de l’esclavage sur le territoire des États-Unis ainsi que quelques pistes de réflexions sur la manière de l’appréhender.

Il ne s’agit pas ici pour nous d’être exhaustives ni d’énoncer une quelconque forme de vérité, mais plutôt de transmettre des informations, des idées et des ressources, pour tenter de comprendre en partie le contexte d’où proviennent le Jazz et les danses Swing.


Quelques éléments essentiels concernant l’esclavage en Amérique du Nord

Les personnes noires aux États-Unis n’ont pas toujours été esclaves

C’est dans les années 1620 que les 11 premiers esclaves de la Compagnies des Indes Occidentales arrivent en Amérique du Nord, marquant le début de plus de deux siècles d’esclavage.

L’asservissement trouvait sa source dans des raisons économiques : la construction de la colonie et l’exportation de matières premières.

Dans les premiers temps de la conquête européenne, les africain·es-américain·es n’étaient pas nécessairement esclaves. Certain·es étaient asservi·es sous contrat et touchaient un salaire, d’autres étaient libres.

Il existe des traces de nombreuses audiences, recours, requêtes, pétitions, adressées par des personnes asservies ou soi-disant libres, prouvant que tous et toutes négociaient ardemment afin d’obtenir une plus grande autonomie.

Par ailleurs l’esclavage n’était, à son commencement, pas spécifiquement lié à la couleur de peau: le statut des personnes blanches asservies était le même que celui des personnes Noires asservies.

Au fil du temps, il devient de plus en plus difficile pour les africain·es-américain·es d’obtenir gain de cause devant les tribunaux, des décrets sont adoptés les empêchant de se déplacer librement, d’avoir des biens immobiliers, etc.

Par ailleurs, le statut de personne libre les mettait dans une situation de pauvreté quasiment impossible à gérer.

C’est ainsi que petit à petit le système de servitude sous contrat disparaît au profit d’un esclavage beaucoup plus cruel et caractérisé par la dépersonnification des esclaves.


Une dépersonnification totale

En 1665 l’État de New York et le Maryland légalisent officiellement l’esclavage : chaque enfant qui naît, naît soit esclave soit libre, selon la condition de sa mère.

L’individu réduit à l’esclavage n’est pas considéré comme une personne mais comme un bien, il est détaché de sa descendance, de sa lignée et voit son nom supprimé.

Les esclaves ne pouvaient plus parler la langue de leur groupe ethnique d’origine, ne pouvaient pas non plus apprendre à lire ou écrire le langage du Nouveau Monde.

Iels sont soumis à une extrême violence, à des expérimentations médicales et à des violences sexuelles.

Contrairement à d’autres formes d’esclavage, il est important de considérer qu’il ne s’agissait pas d’un asservissement sur une période de temps donné mais bien à vie et ce sur des générations et des générations.

Cela est d’autant plus choquant qu’il n’était pas question d’un asservissement lié à une quelconque action ou choix de l’individu (punissement de crimes, paiement de dettes, prisonniers de guerre) mais fondé uniquement sur la couleur de sa peau.

Certaines thèses afro-pessimistes(1) ont recours à la notion de fongibilité issue des sciences économiques pour caractériser la dépersonnification totale subie par les personnes réduites en esclavage.

« Cette notion désigne la propriété d’un certain type de marchandises : celles qui sont consommées par leur usage et remplaçables par d’autres biens de même nature, de même qualité et de même quantité. Les Noir·es réduit·es en esclavage correspondent trait pour trait à cette définition. La principale singularité de la traite transatlantique aura certainement été de transformer des millions d’êtres humains en marchandises vivantes.» Norman Ajari. "Noirceur : Race, genre, classe et pessimisme dans la pensée africaine-américaine au XXIe siècle."
Vente d'esclave au Surinam. Benoit Pierre Jacques, 1831

Le déracinement géographique

Dans les colonies de Caroline au XVIIème siècle, avoir un grand nombre d’esclaves permet d’obtenir un plus grand nombre de terres, cette règle contribue au développement des plantations et génère une augmentation des demandes en esclaves.

Ainsi, à partir de 1670, l’esclavage se généralise en Amérique du Nord et la Traite Transatlantique des esclaves venu·es d’Afrique se développe massivement : selon une estimation historiographique, 12 à 13 millions d’africain·es auraient au total été déporté·es vers le monde américain.

Le déracinement géographique semble avoir été, de tout temps et dans toutes les sociétés ayant connu l’esclavage, un élément nécessaire et fondamental de la mise en place d’un système esclavagiste. Avec la traversée de l’Atlantique, ce déracinement est à son paroxysme, effectué de la manière la plus totale.

La traite sera abolie par les États-Unis au début du XIXème siècle ; cependant l’esclavage dans les plantations dans les États du Sud continuera à se développer jusqu’à l’abolition officielle de l’esclavage à la fin du XIXe siècle

Plantation de Chatham, d'après la carte du cours inférieur du Mississippi de Norman (1858) - Georgetown Slavery Archive

L’abolition de l’esclavage et la période qui a directement suivie

Au milieu du XIXème siècle aux États-Unis, les États du Nord, industriels et abolitionnistes, et les États du Sud, esclavagistes, s’opposent sur la question de l’esclavage ainsi que pour des raisons de philosophie économique.

En 1860, Abraham Lincoln est élu président, majoritairement par les États du Nord et selon une ligne politique opposée à l’esclavage.

Son accession à la présidence précipite le déclenchement de la guerre de Sécession: dans les 16 semaines qui suivent son élection et avant la cérémonie d'investiture, sept États esclavagistes se séparent des États-Unis.

La guerre de Sécession éclate en 1861, et dure jusqu'en 1865.

En janvier 1863, le président Abraham Lincoln prononce la déclaration d’émancipation, une mesure de guerre par laquelle il menace les propriétaires des États sécessionnistes d'affranchir leurs esclaves s'ils ne mettent pas fin à la sécession dans les cent jours.

Le Nord finit par l'emporter, et le XIIIe amendement de la Constitution est voté en janvier 1865. Il déclare que "ni esclavage ni servitude involontaire n'existeront aux États-Unis ni dans aucun des lieux soumis à leur juridiction".

Le texte est adopté le 6 décembre 1865 et entre en vigueur le 18 décembre 1865.

La reconstruction radicale (1865-1877)

Angela Davis, dans « Une lutte sans Trêve », alors qu’elle est interrogée à propos des mouvements de contestation des années 60 aux États-Unis que nous appelons aujourd’hui « mouvement pour les droits civiques », évoque la période qui a directement suivi l’abolition de l’esclavage à la fin du XIXème siècle :


« Si l’esclavage avait été aboli en 1863, grâce à la Proclamation d’émancipation, ou en 1865, par le biais du 13e amendement, les Noir·es auraient bénéficié d’une citoyenneté entière et d’une parfaite égalité, et il n’aurait pas été nécessaire de se mobiliser à nouveau.

L’une des périodes les plus largement méconnues de l’histoire américaine est la reconstruction radicale. Ce fut certainement le moment le plus radical de notre histoire. Nous avons eu à cette époque des représentant·es élues Noir·es - il a fallu attendre ensuite plus d’un siècle pour que cela se reproduise. Les citoyens et citoyennes de ce pays ignorent toujours que ce sont les ancien·nes esclaves qui ont introduit l’enseignement public dans le sud des Etats-Unis, et que les enfants blancs n’auraient jamais pu accéder à l’instruction sans les campagnes constantes en faveur de l’éducation.

[…]

Cette brève période de Reconstruction radicale - je parle des années 1865 à 1877 - s’est accompagnée d’un fort développement économique. D’autre part, plusieurs lois progressistes ont été votées alors que les Noir·es siégeaient dans les assemblées législatives de différents États, non seulement sur la question raciale, mais également en faveur du droit des femmes”.

“Quand on évoque le Ku Klux Klan, ou encore la ségrégation raciale, on a tendance à penser que tous ces phénomènes sont nés sous l’esclavage. Mais le Ku Klux Klan a été créé seulement au lendemain de l’esclavage, tout comme la ségrégation raciale : cela s’est produit juste après la période de Reconstruction noire radicale dans l’espoir de contrôler les Noir·es désormais affranchies. »


Angela Davis, Couverture du Magazine "Légende" (2020)

Les dangers de l’histoire unique et euro-centrée

Notre(2) point de vue est le suivant : notre idée de l’Histoire a elle-même une histoire.

Il s’agit de considérer que l’Histoire qui nous a été enseignée a été écrite, la plupart du temps, par des personnes issues des nations colonisatrices, qu’il faut donc autant que possible la lire avec cette perspective et, enfin, que la domination coloniale passe aussi par l’écriture de l’histoire des autres.

Il existe de très nombreuses manières de raconter l’Histoire et cela nous amène à nous méfier des histoires uniques et des grands mythes.

Dans cette vidéo, Chimamanda Ngozi Adichie démontre les dangers liés au fait de raconter une histoire unique et questionne le pouvoir de la personne qui a la capacité de raconter l’histoire d’un·e autre et, par extension, d’en faire l’histoire définitive de cet·te autre :


L’Histoire semble par exemple avoir construit un mythe de l’esclave soumis et ainsi négligé les nombreuses révoltes d’esclaves qui ont eu lieu, à la fois en Afrique, à bord des navires lors de la traversée de l’Atlantique et sur le territoire des États-Unis.

La révolution haïtienne, par exemple, fut à l’origine de l’établissement du premier peuple Noir libre d’Amérique et ce dès 1804.

Par ailleurs, les révoltes dont on a la trace sont celles de grandes révoltes collectives, c’est donc sans compter le récit des révoltes menées par les personnes dans la vie quotidienne et celui de leur résilience hors normes.

L’article suivant est très intéressant sur le sujet : Aline Helg, “Les esclaves se sont libérés tout seuls”, letemps.ch.

Il semblerait également que la construction de grands mythes appuyée par des figures de héros contribue par le récit à déformer l’Histoire.

C’est par exemple le cas du récit des mouvements de lutte pour les droits civiques des années 60 et de l’héroïsation des figures de Martin Luther King et Malcom X (au dépend de ces derniers d’ailleurs puisqu’ils ont été assassinés).

Qui plus est, ce phénomène contribue à l’effacement des mémoires collectives d’un grand nombre de personnes qui ont eu un rôle majeur dans les grandes luttes sociales de l’Histoire, et particulièrement des femmes.


International Sweethearts of Rhythm-swing

Ici on peut faire un parallèle avec l’histoire du jazz et du Lindy Hop : on cite souvent des grands musiciens comme Count Basie ou Duke Ellington ou des danseurs comme Frankie Manning. Sans rien enlever à l’apport considérable de ces derniers, notre compréhension de ces formes d’art est d’autant plus riche qu’elle est diverse. Et il est douloureux et si évident de constater à quel point il y a des danseuses·eurs de lindy hop, de tap dance, des musicien·nes de jazz absolument brillant·es qui ont été complètement effacé·es de la mémoire collective, et particulièrement des femmes. Le danger des grands mythes c’est aussi qu’ils nous empêchent parfois de mettre en perspective les réalités du système actuel.


Continuer à mettre en perspective les violences du système actuel

Nous pensons que l’étude de ce contexte doit aussi nous amener à nous interroger sur ses conséquences sur le système actuel, le racisme et les violences persistantes envers les personnes Noir·es.

A titre d’exemple et toujours pour se concentrer sur les États-Unis, les études liées au système carcéral actuel font froid dans le dos. Le fantastique documentaire « The 13th » réalisé par Ava DuVernay et sorti en 2016 (Netflix), s'intéresse à l’incarcération massive des africain·es-américain·es. Il dénonce le système judiciaire américain de 1865, année d'adoption du 13e amendement, et s'intéresse à son évolution. On y apprend par exemple qu’aux États-Unis, 40% de la population en prison est Noire, alors qu’elle ne représente à peine 14% de la population globale américaine. Ou encore qu’une personne africaine-américaine naît avec une chance sur trois de se retrouver derrière les barreaux.


Le Jazz est issu des rythmes traditionnels africains et créé par les esclaves et descendant·es d’esclaves dans le contexte de l’esclavage puis de la ségrégation raciale. Cette musique, et les danses Swing créées à partir de celle-ci, en tant qu’arts d’expression individuelle et collective portent cette histoire de manière intrinsèque et ne peuvent pas exister sans ce contexte.

Voici enfin quelques sources de documentation pour élargir ce sujet à la question du racisme, aux États-Unis mais aussi en Europe, et peut-être établir un lien plus direct avec le Jazz et les danses Swing.


  • Comptes Instagram anti-racistes

Zai Sylla :@zairambles Sunn M’Cheaux :@sunnmcheaux Everyday racism :@everydayracism
  • Collective Voices For Change : ce collectif a pour mission d’aborder les questions d'inégalités raciales et d'appropriation culturelle dans la communauté de la danse Jazz en Europe et dans le monde. Voici l’onglet de leur site consacré aux ressources.

  • Moncell Durden : danseur, historien, auteur, réalisateur, notamment du documentaire “Everything remains raw”


(1) Afro-pessimisme : courant de pensée pessimiste quant à la situation de l’Afrique et du racisme perpétré envers les afro-descendant·es qui utilise le pessimisme comme outil de lutte.


(2) Dans ce paragraphe, le pronom « nous » fait référence aux personnes blanches qui ont grandi en Europe de l’Ouest, et dont nous faisons partie.


Rédaction: Anouk Chipault Le Guennec


Sources écrites


Sources Vidéos


Podcast


Documentaires

 

Pour en apprendre plus sur le swing et son histoire:

Swungover Le projet Swing History, mené par plusieurs passionné·e·s de la scène swing Suisse Romande vise à faire connaître les racines de la musique et des danses swing. Bien que ces articles soient le fruit de recherches sérieuses, il est impossible de garantir l'absence d'erreurs et/ou de maladresses.

L'équipe se réjouit de recevoir corrections et commentaires et d'en apprendre plus grâce à ces contributions. Envie de faire partie de l'aventure? Le projet est en constante évolution! Contacte-nous à swinghistory@swingtimelausanne.ch et rejoins la team Swing History!


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