Crée par les esclaves, le Cake Walk aurait été la première danse mélangeant les codes européens et africains. Structuré mais aussi improvisé, cet hybride donnera naissance à une multitude d’autres pratiques et musiques, faisant de lui l'ancêtre direct des danses et musiques swing.
D’abord défouloir, revendicateur et créateur… puis moqué, imposé et stéréotypé, le Cake Walk cache une face bien moins futile qu’il n’y paraît.
Public critique
Vers 1850, les esclaves des plantations découvrent les danses importées d’Europe, comme le quadrille ou la valse. Bien loin de leurs danses africaines fluides et ancrées dans le sol qu’iels n’avaient plus le droit de pratiquer, iels se mirent à mimer ces danses “hautaines”, corps droit, torse bombé et habits de soirée (costards et crinolines).
Cette moquerie, stimulante et risquée, offre un exutoire aux esclaves qui critiquent ouvertement leurs oppresseurs. Celleux-ci ne semblent pas toujours se rendre compte de l’insulte ou alors pensent juste que les esclaves ne peuvent pas danser aussi bien qu’elleux et s’en délectent.
“Iels faisaient une caricature des bonnes manières de la haute société blanche, mais leurs maîtres·se·s, réuni·e·s pour les regarder, passaient à côté de la véritable signification.” Shepard Edmonds (1)
Une danse et un gâteau
Lorsque les patron·ne·s commencent à assister aux représentations spontanées de ce qui s’appelait alors les “Prize Walk” dans les plantations, iels sont séduit·e·s et commencent à organiser des concours plus formels. Le couple gagnant reçoit comme prix un gâteau, (des pancakes de farine de maïs emballé de feuilles de choux(2)) souvent cuisiné par la femme du maître elle-même. Dès lors, on utilise communément le terme “Cakewalk” (la marche du gâteau).
Danser le Cake Walk
L’ un à coté de l’autre, la femme passe le bras dans celui de l’homme, iels se mettent à sautiller en rythme, posant tour à tour un pied en avant, effectuant une “promenade”. Plusieurs couples peuvent évoluer en même temps en se déplaçant l’un vers l’autre, l’un autour de l’autre ou parfois autour du gâteau lui-même, effectuant un schéma plus ou moins compliqué(3). Le port altier laisse croire à la facilité des mouvements mais en évoluant, les pieds montent de plus en plus, faisant place à de vraies acrobaties.
Dès le début, les “Walkers” ajoutent leur propre twist, jetés, glissements et autres mouvements ancrés en eux, provenant des danses folkloriques africaines. Contrairement à ce qu’iels voient dans les danses européennes codifiées, iels pouvaient inventer et improviser toutes les figures qu’iels souhaitaient pour se pavaner avec leur partenaire.
Ces ajouts font du Cake Walk une danse typiquement africaine-américaine qui sera à l’origine de multiples autres danses comme le Lindy Hop, le Charleston, le Shag ou encore le Boogie Woogie et le Rock’n’Roll.
Le Cake Walk a aussi un immense impact sur la musique elle-même. Elle évolue pour s’accorder aux danseur·euse·s réclamant un rythme plus enjoué afin d’exécuter un Cake Walk plus sautillant, donnant naissance au Ragtime, traduire “le moment des déguenillés”.
Pratique raciste
Le Cake Walk est une danse née dans les plantations esclavagistes et ce contexte semble être oublié de nos jours. Ce qui avait commencé comme un exutoire s’est rapidement transformé en obligation pour les esclaves que l’on va forcer à se ridiculiser en dansant vêtu·e·s de guenilles (“rag” en anglais, qui donnera le nom “Ragtime”). Le dimanche, leurs maître·sse·s organisent des compétitions entre plantations en pariant entre elleux sur les gagnant·e·s, privant les esclaves de leur seul jour de congé. Les propriétaires jubilent d’avoir une occasion de plus d’asseoir leur autorité en jugeant les prestations et en choisissant les gagnant·e·s du gâteau.
Apparaissant comme simplissime et vu comme “l’activité récréative” du week-end par la classe blanche, les expressions anglophones “it’s a cake walk” ou “it’s a piece of cake” deviendront une façon raciste de qualifier toutes tâches faciles.
Minstrel Show
Vers 1870, le Cakewalk devient un numéro incontournable des Minstrels Shows, ces spectacles racistes de style cabaret moquant les personnes de couleurs où les perfomeurs·euses blanc·he·s se griment le visage en noir (blackface). La danse est présentée comme l'échec ridicule des esclaves qui s’efforçent de faire aussi bien que la classe blanche. Plus tard, les artistes Noir·e·s tentent de se réapproprier ce numéro mais on leur demande quand même de se grimer le visage en Blackface, en faisant un spectacle encore plus grotesque:
“Les Noir·e·s* imitant les blanc·he·s qui imitaient les Noir·e·s qui imitaient les blanc·he·s” Terry Waldo, historien du Ragtime.
Avec la venue d’autres spectacles comme les freakshows ou le Vaudeville, les Minstrels perdent peu à peu de leur popularité mais le Cake Walk gagne pour toujours une place dans les danses folkloriques américaines, pratiqué encore de nos jours dans les carnavals, les festivals ou les pique-niques en famille.
Le Cake Walk, une danse à l’apparence anodine qui cache une histoire forte!
Rédaction: Hülya Kubbecioglu
Sources:
(1) Marshall & Jean Steam, Jazz Dance-The Story of American Vernacular Dance, p.23
(3) Aida Overton Walker , “How to Cake Walk”, The Tattler newspaper, (1903)
Lakshmi Gandhi, “The Extraordinary Story Of Why A 'Cakewalk' Wasn't Always Easy”, NPR
Regan Shrumm, “Who takes the cake? The history of the cakewalk”, National Museum of american History
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