Un changement monumental intervient en 1935 dans le monde du Lindy Hop : celui-ci devient une danse acrobatique. L’introduction des « aerials » ou « airsteps » a largement contribué à faire du Lindy Hop une danse de renommée internationale.
Les photos et une bonne partie des informations contenues dans cet article sont issues du site de Bobby White, « Swungover », que nous vous recommandons vivement de consulter.
Avant les "aerials: les "lifts"
Avant la création des « air steps » ou « aerials », lors desquels l’un·e des partenaires voltige librement dans les airs, il existait différentes sortes de « lifts » c’est-à-dire des mouvements dans lesquels un·e partenaire retient l’autre ou soutient son poids pour créer un moment de suspension.
Voici une courte énumération de quelques uns de ces « lifts », ces noms ne vous diront peut être pas grand-chose mais c’est l’occasion d’aller à la recherche de ces images d’époque et de découvrir des danseureuses qui vous sont encore méconnu·e·s.
Dans After Seben (1929), le premier extrait filmé de lindy hop dont nous disposons, Mattie Purnell & “Shorty” George Snowden exécutent un « lift » qui est une version d’une figure que l’on appelle aujourd’hui un « baby doll drop ». (2:31)
En 1933, dans le film « Rufus Jones for President », on aperçoit un danseur, certainement « Twistmouth » George, et une partenaire non-identifiée effectuer une version d’un lift que Frankie Manning appelait « Ace in the hole ».
Dans les images dont nous disposons du 1er Harvest Moon Ball (nous y viendrons plus tard) en 1935 et de celui de 1936, on n’aperçoit pas encore de « Air Steps » mais plusieurs « lifts » assez impressionnants.
En 1936, on voit ainsi Mildred Cruse & Billy Williams réaliser un “Ace in the hole” et un lift lors duquel elle monte sur son épaule, ayant probablement inspiré l’aerial appelée “Over the shoulder”, une sorte de salto ou roulade arrière sur l’épaule de sa/son partenaire.
La même année, Norma Miller & Billy Ricker performent un lift qui pourrait être à l’origine de ce qui deviendra leur « Shake Around » dans Hellzapoppin’, une figure dans laquelle Norma est accrochée par les bras à la taille de Billy et secoue les jambes tandis qu’il tourne sur lui même à grande vitesse.
Enfin et pas des moindres, on aperçoit dans l’extrait de « After Uncle Sol » (1937) Big Bea qui porte Shorty George sur son dos, un lift qu’iels avaient l’habitude de performer à la fin de leurs routines.
Le premier "aerial"
La co-autobiographe de Frankie Manning, Cynthia Millman date l’invention du premier « air step » à la fin de l’année 1935 / début 1936.
En voici l’histoire, telle que racontée par Frankie Manning:
En 1935 à Harlem, Shorty Georges Snowden, connu sous le nom de « Shorty George », est depuis plusieurs années déjà considéré comme le meilleur danseur du Savoy Ballroom, surnommé « The King of Lindy Hop ».
Shorty Georges et ses danseureuses sont engagé·e·s professionnellement dans un club du Sud de Manhattan, le “Paradise Club”, et par conséquent iels sont assez peu au Savoy Ballroom. Et, pendant leur absence, une troupe de jeunes danseur·euse·s formée par Herbert « Whitey » White commencent à se faire une réputation.
Shorty Georges en entend parler et défie Herbert White: il souhaite que soit organisé au Savoy Ballroom un concours opposant ses meilleures danseureuses à celleux d’Herbert White.
En vue de la compétition, Frankie Manning et sa partenaire Frieda Washington ont alors l’idée de développer un mouvement directement inspiré de la fameuse figure de Shorty Georges et Big Bea.
L’idée est que Frieda Washington monte sur le dos de Frankie (dos à dos) mais qu’au lieu d’y rester elle fasse une sorte de roulade arrière et retombe sur ses pieds.
Dans la vidéo en lien ci-dessous, Frankie Manning raconte avec un humour extraordinaire l’aventure de la création de cet aerial:
Il y raconte également la compétition, l’excitation que l’événement suscitait au Savoy, et décrit les autres danseureuses de la compétition.
Ce soir-là, Frankie Manning et Frieda Washington passent en dernier, après Shorty George et Big Bea. Effrayé·e·s, d’abord, iels sont soutenu·e·s et entrainé·e·s par la musique du groupe de Chick Webb qui adapte sa musique à la danse, ajoutant à la force et la surprise de ce premier “aerial”. Frankie Manning raconte le silence immense qui a suivi dans tout le Savoy, suivi d’une explosion d’applaudissements de la foule ébahie.
Ce premier “aerial” inspire les danseureuses du Savoy qui ont ensuite perfectionné et créé d’autres acrobaties.
Ce développement de la danse accroît largement sa popularité aux Etats-Unis, marquant le début de ce qu’on appelle communément « l’âge d’or du Lindy Hop » (« The Golden age of Lindy Hop »), entre 1935 et 1942.
Performances emblématiques
Les aerials sont directement liés à l’aspect spectaculaire du Lindy Hop. Alors, quelles ont été les grandes performances et compétitions historiques lors desquelles on a pu observer ces nombreux « air steps » ?
1) Hellzapoppin’
Le film «Hellzapoppin’» (1941) contient la scène de Lindy Hop la plus connue et la plus spectaculaire, présentant un nombre extrêmement impressionnant d’aerials.
C’est un moment de lindy hop d'anthologie, à couper le souffle à chacun des visionnages.
Les danseureuses des Whitey’s Lindy Hoppers suivant·e·s apparaissent dans la scène :
- William Downes et Frances “Mickey” Jones.
- Norma Miller et Billy Ricker
- Al Minns et Willa Mae Ricker
- Ann Johnson et Frankie Manning, le directeur artistique de cette séquence.
2) Le Harvest Moon Ball
Le Harvest Moon Ball était un concours annuel de danse de couple qui s’est tenu à New York, à Madison Square Garden, entre 1935 à 1974.
Il est surtout célèbre pour avoir mis en valeur l’art de plusieurs générations de Lindy Hoppers africain·e·s-américain·e·s. L'événement autorisait la présence de public, de la presse, et plus tard de la télévision.
Si le Harvest Moon Ball était un événement historique majeur en soi, il a aussi et surtout été un tremplin qui a permis aux visionnaires africain.es américain.es, comme Herbert “Whitey” White, Louise “Mama Lu” Parks et celleux qu’ils ont inspirés, de donner à voir l’excellence de la danse africaine-américaine d’Harlem au monde entier.
Entre 1935 et 1950, des danseur·euse·s du Savoy ont été 14 fois champion·ne·s du Harvest Moon Ball.
« The Harvest Moon Ball Project », réalisé par Bobby White pendant la pandémie est une mine d’or d’information, le projet donne accès à des images inédites du concours et retrace le parcours des danseureuses de lindy hop dont les noms de certain·e·s ne sont que trop méconnus. Voici, à titre d’exemple, des extraits du Harvest Moon Ball de 1938.
Le Lindy Hop y est présent dans son aspect performatif et les acrobaties abondent. Une grande source d’inspiration pour les aerials!
Louise “Mama Lu” Parks
Louise “Mama Lu” Parks est une danseuse essentielle dans l’histoire du Lindy Hop qui a permis de garder cette danse en vie après la fermeture du Savoy Ballroom en 1958.
Entre 1961 et 1990, sa compagnie a continué de danser le Lindy Hop, et ce notamment comme une danse compétitive et performative.
Un grand nombre de danseureuses de sa compagnie ont été ou sont devenu·e·s des champion·ne·s du Harvest Moon Ball.
Voici une vidéo très précieuse qui contient des images d'entraînements, des interviews de Mama Lu Parks et un extrait de performance de sa compagnie:
Les “aerials” sont l’un des aspects essentiels du Lindy Hop dans son aspect performatif, ils ont en partie permis de conférer à cet art Africain-Américain sa renommée internationale. Ils sont toujours extrêmement présents aujourd’hui dans des événements compétitifs comme l’ILHC (“International Lindy Hop Championship”) qui se déroule à Harlem chaque année depuis 2021 et a lieu autour de l’anniversaire de Frankie Manning, le 25 mai, aujourd’hui célébré comme la journée international du Lindy Hop.
Rédatrice: Anouk Chipault Le Guennec
Sources:
Jacqui Malone : “Steppin’ on the blues, The Visible Rhythms of African American Dance”
Harri Heinila, Who Did What? Comments on Staging the Famous Hellzapoppin’ Lindy Hop Scene and on the Legacy of Norma Miller
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